Tu n'es pas venu

Publié le par deadmansad

Je t'imagine blond, comme moi j'étais brun, tu aurais les yeux bleus, les miens sont noirs. Nous aurions partagé tous nos secrets. Devant toi, j'aurais pu apparaître comme j'étais, être ce que je suis, sans me cacher. Tes dents blanches, ton sourire, ton parfum, et poser tendrement mon front sur ta poitrine, sur toi, me reposer...

 

Mais tu n'es pas venu.

 

Non, tu n'es pas venu. Pas venu, quand, aux douches du lycée, je regardais le mur et me mordais les joues presque à les transpercer, uniquement pour ne pas bander.

 

Pas venu quand, les plus beaux et les plus virils, pour faire comme tout le monde, employaient des mots comme "pédé", "tapette", "tarlouze", dès que quelqu'un ou quelque chose était différent.

 

Pas venu, quand tel un Saul de Tarse, j'approuvais quand un "sale pédé" se faisait emmerder, pousser ou tabasser, tenant les sacs et approuvant apparemment la curée. Pour ne pas sembler différent. Pas sembler différent. Pas tomber sous leurs griffes. Ne jamais rien avoir de travers, d'effeminé, de trop beau ou trop propre, ne jamais trop sourire, regarder ostensiblement le cul des filles, en parler comme d'un tas de viande, dire tout ce qu'on aimerait bien leur faire, à ces "salopes", et le soir, se toucher en pleurant, en pensant aux corps des copains, entrevus sous la douche, frôlés dans les vestiaires, à cette main au cul en forme de bousculade virile mais qui a déclenché l'érection du siècle, qu'il a fallu cacher...

 

Tu n'es pas venu, enfoiré.

 

Pourtant, Dieu sait que je t'ai attendu. J'ai emmagasiné des trésors de tendresse, je t'ai écrit des centaines de lettres, des poèmes et des mots cochons, tous jetés, tous brûlés, parce qu'il n'y avait personne pour les lire.

 

Je me suis endormi, chaque soir, en imaginant nos aventures, chaque putain de soir de chaque putain de jour de ma putain de vie, depuis l'âge de treize ans, même le soir de mes noces, putain, je ne peux plus m'endormir sans rêver cette vite faite de fantasmagorie, où je suis avec toi, où tu es là.

 

Tu me manques, mon amour.

 

Et regarde-moi aujourd'hui : quarante ans, nom de Dieu, le bide, la semi-calvitie. Des douleurs qui ne passent plus. Regarde-moi, ce que je suis devenu. Tu le sais, chez les gays, il n'y a pas de place pour l'âge, le bide, la presbytie. Il n'y a que des farandoles de gars parfaits qui s'emmanchent en couinant dans des vidéos. 

 

Regarde-moi !

 

Surtout, regarde-toi. Toi qui n'es pas venu. Toi qui n'as pas changé. Toi qui es toujours jeune, et beau, tes cheveux blonds, tes yeux d'un bleu profond, ta poitrine chaude et douce, sur quoi me reposer, ton corps, serrer, pleurer.

 

Non, tu n'es pas venu.

Publié dans souffrance

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U
<br /> Combien d’heures ai-je passées, ado, à rêver d’un copain dont j’aurais pu prendre la main? S’autoriser à en rêver, seulement en rêver… Et aujourd’hui, tomber sur ce poème qui me parle de lui...<br /> Merci.<br /> <br /> <br />
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