On se la montre

Publié le par deadmansad

Quand j'y pense, quelle idée imbécile on se fait de l'enfance !

 

Bien sûr, il y a les copains, l'aventure, et les jeux, les animaux de compagnie, l'école, des poux, des bobos, des émissions jeunesse à la télé, des lignes de fringues, des vieilles tantes acariâtres, tout ça...

 

Mais quand je vois la façon dont on idéalise l'enfance, aujourd'hui, ça me fait rire quand j'y pense. Dans toute cette description qu'on en fait, dans la façon dont on la voit, même en tant que parent, il manque un élément, presque toujours : le sexe !

 

Comment est-ce qu'on peut oublier à quel point, comme garçon, on est obsédé par le sexe et ce, dès l'enfance ? Une sorte d'amnésie nous fait voir la préadolescence comme asexuée, idéale, pure, innocente, concentrée sur le jeu et l'école, ou je ne sais quoi encore...

 

Quand en plus on évolue dans un environnement croyant, le discours sur le sexe ou le corps, quand il existe, est presque exclusivement un discours d'interdit, de danger, de maladie. Chez moi, c'était plus simple, car on n'en parlait pas. Silence. Tabou. Chut.

 

Alors, un jour, quand dans les toilettes de l'école mon meilleur copain Damien (c'est comme dans Libé, le nom est changé !) m'a dit "on se la montre ?" J'ai cru que j'allais mourir, sur le moment. J'étais tétanisé de peur, j'allais faire quelque chose de monstrueux, j'allais tomber dans la gueule ouverte de l'enfer, et pourtant ! Qu'est-ce que j'en avais envie, bon Dieu, qu'on se la montre ! Je ne voulais que ça, je ne désirais que ça, je n'attendais que ça, qu'on se la montre !

 

Et on se l'est montrée, juste montrée. Ça a duré une demi-minute. Mais mon cœur a manqué un battement. Les cinquante nuits suivantes, je faisais des rêves érotiques dans lesquels on se la montrait encore, et encore, et encore. Mais j'étais trop tétanisé, trop timide, trop appeuré, pour aller au-delà de se la montrer.

 

Que se serait-il passé si j'avais été moins timide ? Si j'avais osé franchir les deux pas qui nous séparaient dans les toilettes, ce jour-là ? Si j'avais osé faire tout ce que je rêvais de faire en plus de se la montrer ? Je ne sais pas. Il me semble que, quelque part, ce premier grand blocage, cette première peur, en a engendré des milliers d'autres, qui sont à la source de mon erreur d'aiguillage, celle qui m'a valu de me retrouver aux urgences à dix-huit ans, après m'être ouvert les veines, et vingt et quelques années plus tard, dans cette situation de total fourvoiement qui est la mienne : marié, papa, et... gay.

 

Il y a des bouquins et des films sur le modèle d'un jour sans fin, dans lesquels le héros ou l'héroïne est sans cesse ramené à son point de départ tant qu'il ne pose pas l'acte qui dégrippe son destin, et remet la machine en route.

 

J'aimerais avoir dix ans.

 

J'aimerais être dans ces toilettes, avec Damien.

 

J'aimerais me jeter dans ses bras, et l'embrasser.

 

J'aimerais plein de choses, pas à pas, une à une, en prenant notre temps, avec tendresse, un peu de peur peut-être, mais les faire, oui, les faire. Les vivre, au lieu de regretter. M'en souvenir, pas pleurer. Mais on ne peut pas remonter le temps, n'est-ce pas ? Damien s'est peu à peu éloigné de moi. Il s'est bien rapproché de Raphaël. Ils sont devenus les meilleurs amis du monde. Ils se chuchottaient des choses en cours, dans la cour, sur le chemin de l'école... Une fois même, je suis entré dans les toilettes. Il étaient là, dans un box, porte fermée, en train de rigoler, de faire des bruits étranges. Je suis sorti sur la pointe des pieds. Je me suis caché.

 

J'ai pleuré.

 

Vous savez quoi ? Ma vie n'est pas un film. Je ne peux pas revenir en arrière.

 

À bientôt...

 

Sois toi-même !

 

deadMANsad

 

Publié dans enfance

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