Mourir, ça fait très mal

Publié le par deadmansad

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L'année de mes 18 ans, j'ai quand-même tenté un petit début de coming-out, dans ma bande de copains. C'était tout, mes copains. J'étais un peu le chef de bande, le boute-entrain, le mec qui lance les grandes idées et aide à les réaliser, celui qui écoute tout le monde avec attention, soigne les peines de cœur, à la fois capitaine, médecin, et confesseur. Si l'un d'eux m'avait appelé à trois heures du matin en disant "j'ai tué quelqu'un", j'aurais juste demandé le poids du corps et je serais venu avec le sac idoine et une pelle-bêche. Je ne compte pas les fois où j'ai aidé. Sans même essayer d'enculer qui que ce soit en retour. J'étais, sincèrement, profondément, amoureux de l'autre. Leurs peines étaient mes peines, leurs joies mes joies, et caetera.

 

Alors, je me suis dit, si je leur dis qui je suis vraiment, après toutes ces années, ils m'aimeront. 

 

Comment passer du dance-floor bondé de Saturday Night Fever à un village hanté de western avec les buissons qui roulent le temps d'un battement de cil ? Fastoche, dans les années 80, en milieu ouvrier, dites simplement "je me demande si je ne préfère pas les garçons". Pan !

 

En fait, y fallait pas. Je pouvais tout encaisser, j'étais là pour servir. Pas eux. Je ne pouvais pas, moi, avoir des besoins, des envies, encore moins des peines. A de très rares exceptions près (le type qui te dit ça ne change rien sans te regarder dans les yeux et l'air d'avoir mangé une huître chaude avariée depuis une semaine) ça a été sarcasme, casse-toi et n'y reviens pas. J'ai même surpris un de mes "amis" dire à la cantonade en riant à des types hors de mon cercle d'amis :  "eh vous savez, Untel, il est pédé !"

 

Alors, devant la fin de toutes mes illusions, j'ai fait ce que beaucoup de garçons dans ma situation ont fait, j'ai mouru comme un con tout seul dans un sous-sol. Barbituriques, alcool et ouverture des veines, dans un escalier abandonné depuis des années, que j'ai fait. Ça n'a rien de fofolle, ç'a n'a rien de romantique, de partir en vomissant et en chiant dans ses fringues, dans une mare de sang noir, sur un ciment tout froid, les gars. Mourir, ça fait très mal. Mais surtout la douleur du cœur, ce sentiment atroce, ignoble, que personne, pas même ce Dieu d'amour dont on m'avait parlé, ne m'aime ni ne me connaît comme je suis. 

 

Hasard, providence, humour noir, j'ai été trouvé, par un type qui venait là pour trafiquer je ne sais quoi.

 

Je vous passe les six mois, juste pour apprendre à manger tout seul. Je vous passe l'infirmière qui vous lave les couilles à l'éponge. Je vous passe les médocs à assommer un Troll, le psy dont on se dit putain la tronche il est plus mal que moi le gars. Je vous passe aussi mon père qui dit "tout ça c'est des conneries, ça n'existe pas, un moment de fatigue et c'est tout, remets-toi au travail ça va aller."

 

Il est pas méchant. Il est pas brutal. À cette époque-là, dans ce milieu-là, il sait juste pas que ça existe des choses comme ça, faire des rêves de garçons. J'ai découvert depuis qu'un de ses frères (un de mes oncles donc !) s'est tiré une balle dans la mâchoire à la ferme familiale au même âge POUR LES MÊMES PUTAINS DE RAISON. Ben, ça a pas fait tilt, non, "j'ai trouvé ton journal intime et je l'ai brûlé, des fois que quelqu'un tombe sur ces horreurs, ça te porterait préjudice !"

 

Ma mère, j'en parle pas, aujourdhui encore elle se jette sur n'importe quel papier sortant de ma poche pour le jeter à la poubelle, se retenant à peine de le mâcher,  comme dans les films d'espionnage, des fois que je me balade avec sur des post-it des déclarations sodomites, ou des illustrations comme seuls les invertis en ont. Autant dire qu'ils ont relâché leur respiration quand je me suis marié. Notre fils est intérieurement mort, mais c'est pas grave, la voisine dira pas qu'on a enfanté un monstre. Meurs à toi-même, tais-toi, et sois un bon fils. 

 

Mourir, ça fait très mal.

 

Je le conseille à personne.

 

Jeune, si tu as envie de sucer des bites, je t'en prie, suce des bites. Ne laisse personne te tuer, pas-même toi.

 

Je t'en prie, ne meurs pas.

 

 

 

 

Publié dans souffrance

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